Dans le jugement de première instance Association canadienne des télécommunications sans fil c. Procureure générale du Québec [2018 QCCS 3159], le juge a conclu que le caractère véritable de l’article 260.35 de la Loi sur la protection du consommateur est d’obliger les fournisseurs de services Internet (« FSI ») à bloquer l’accès des usagers du Web aux sites de jeux de hasard considérés illégaux par la Société des loteries du Québec. Il relève donc des compétences législatives exclusives du Parlement en matière de télécommunications et de droit criminel et non pas des pouvoirs de la province.
En appel de ce jugement, la Cour conclut que le juge n’a pas commis d’erreur révisable en concluant que le caractère véritable de l’article 260.35 adopté par la législature provinciale constitue essentiellement l’exercice de la compétence fédérale exclusive en matière de télécommunications et qu’il est donc constitutionnellement invalide. La Cour d’appel est toutefois d’avis que cette conclusion permettait de sceller le débat et qu’il n’était pas nécessaire pour le juge d’examiner si l’article 260.35 relevait de la compétence fédérale en droit criminel, ni si les doctrines constitutionnelles du double aspect et de la prépondérance fédérale, ou encore des pouvoirs accessoires, pouvaient trouver application afin de sauvegarder la disposition provinciale.
Dans le cadre d’un litige portant sur le partage des compétences, il faut d’abord déterminer le « caractère véritable » d’une loi ou d’une disposition législative, soit « ce à quoi elle a réellement trait », ou « la matière sur laquelle elle porte essentiellement ». Les tribunaux doivent l’analyser sous deux volets, soit le but visé par le législateur en l’adoptant et ses effets juridiques et pratiques ou « concrets ».
La détermination du but visé par le législateur et des effets de la disposition contestée peut comporter non seulement l’examen de la disposition elle-même, de l’énoncé des objectifs généraux et de la structure générale de la loi dans laquelle elle s’insère (la « preuve intrinsèque »), mais aussi des circonstances dans lesquelles elle a été adoptée, des débats parlementaires et autres comptes rendus du processus ayant mené à son adoption (la « preuve extrinsèque »), dans la mesure où ils sont pertinents et fiables et qu’on ne leur donne pas plus de poids qu’ils n’en méritent. Ce faisant, les tribunaux doivent rechercher l’objectif réel de la disposition attaquée, plutôt que son but simplement déclaré ou apparent. À cette fin, ils ne sont pas liés par une disposition relative à l’objet de la loi, bien qu’une telle déclaration d’intention législative puisse souvent être utile, ni par les seuls propos d’un ministre dans le cours des travaux parlementaires, lesquels, bien qu’ils puissent eux aussi être utiles, ne reflètent pas nécessairement la véritable intention du législateur.
En ce qui concerne les effets juridiques de la disposition attaquée, il s’agit d’analyser la manière dont cette dernière influe sur les droits et obligations de ceux qui y sont assujettis. Les effets pratiques sont quant à eux, outre ceux découlant directement de la seule teneur du texte de la disposition, les effets concrets résultant de son application. Par ailleurs, la Cour suprême a souligné que dans la recherche du caractère véritable, les tribunaux doivent éviter de donner leur aval à une loi « déguisée », soit une loi qui, par sa forme, semble porter sur une matière relevant à la compétence législative de l’ordre de gouvernement qui l’a adoptée, mais qui traite au fond d’une matière dépassant sa compétence. Dans certains cas, ce sont les effets de la loi qui permettront de cerner ce à quoi elle a réellement trait et de conclure à un objet véritable autre que celui déclaré.
Compte tenu de ces éléments de preuve intrinsèque et extrinsèque, le procureur général n’a pas démontré que la conclusion du juge concernant l’objet véritable de la disposition attaquée, soit de permettre à Loto-Québec d’obliger les FSI à bloquer l’accès des citoyens québécois aux sites de jeux de hasard et d’argent qu’elle estime illégaux, et non la protection du consommateur, est affectée d’une erreur manifeste et déterminante justifiant l’intervention de la Cour d’appel. Le juge a correctement déterminé que l'art. 260.35 LPC intervient directement dans le champ de compétence fédérale exclusive en matière de télécommunications. La Cour ajoute que la compétence fédérale exclusive en matière de télécommunications, développée, étendue et confirmée au fil des ans par le Conseil privé et la Cour suprême dans des affaires concernant la transmission de signaux radio, d’images, d’ondes hertziennes ou autres, au moyen d’installations et d’équipements divers, doit logiquement s’étendre aussi à l’émission, la réception et la retransmission de signaux Internet. En ayant pour effet de réglementer, de contrôler et d'empiéter sur la gestion par les fournisseurs de services Internet de leur émission, leur réception et leur retransmission de signaux Internet, la disposition provinciale intervient directement dans un champ de compétence qui n'est pas le sien. Par conséquent, l'appel est rejeté.