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Équivalence fonctionnelle et systèmes de loteries électroniques

20 Jul 2022 5:22 PM | CAN-TECH Law (Administrator)

La demanderesse, la Corporation de développement de l’Étang Burbank (Corporation) demande une licence de tirage. La Régie des alcools, des courses et des jeux la convoque devant le Tribunal.  La Régie remet en cause la participation d’un tiers, Loto-cacao inc., une entreprise à but lucratif, dans la conduite et l’administration du tirage qui met à la disposition de la Corporation sa plateforme numérique. Celle-ci permet la mise en vente de billets de participation et la détermination du billet gagnant.  Le Tribunal de la Régie des alcools, des courses et des jeux doit déterminer si  l’utilisation d’une plateforme numérique pour la conduite et l’administration d’un tirage est conforme avec la législation et la réglementation applicables.

En ce qui a trait à la délivrance d’une licence de tirage, le Tribunal constate que la Corporation remplit les exigences de la loi, et c’est à elle, le cas échéant, que la licence serait délivrée.

En ce qui a trait au tirage en lui-même, trois éléments se dégagent de la lettre et de l’esprit des dispositions applicables : celui-ci doit se faire manuellement, c’est la titulaire de la licence qui doit l’effectuer et il ne peut se faire de manière virtuelle, mais bien à l’aide d’un baril, ou autre objet semblable, dans lequel sont placés des talons de billets imprimés. Loto-cacao inc. assimile son rôle à celui de l’imprimeur. À cet effet, l’article 42 des Règles sur les systèmes de loterie  mentionne que le certificat attestant du nombre et de la numérotation de billets imprimés doit être complété par l’imprimeur. L’impression des billets infère que ce sont des billets « papier » qui sont remis au titulaire de la licence de tirage.

Le paragraphe 1o de l’article 41 des Règles prévoit aussi que les billets de tirage doivent être constitués de deux parties, dont un talon qui doit être conservé par la titulaire de la licence après la vente du billet. Le « tirage » consiste donc à la pige « manuelle » au sort d’un talon parmi tous les talons de billets vendus. Le baril, ou autre accessoire similaire, et le brassage des talons de billets représentent la garantie que doit comporter la pige au hasard d’un talon. En outre, le tirage au sort doit être public et tenu devant au moins trois témoins selon le libellé de l’article 38 des Règles. Un tirage virtuel, qui consiste à « appuyer sur le bouton » du tableau de bord de la plateforme numérique élaborée par Loto-cacao inc., ne répond pas à cette exigence qu’il soit exécuté à partir des bureaux de Loto-cacao inc. ou à partir de ceux de la Corporation.

L’exigence du tirage public et devant témoins vise à garantir l’intégrité de celui-ci par le fait que le public ou les témoins qui y assistent sont à même de constater et d’attester de la pige, de façon aléatoire et selon le fruit du hasard, d’un talon de billet parmi les autres talons de billets. Or, le recours à une plateforme numérique pour la désignation d’un gagnant, même si cela se fait devant témoin et en public, ne permet pas d’attester que le tirage est le fruit du hasard, mais seulement qu’une personne X a appuyé sur un bouton et que la plateforme a identifié un billet gagnant.

La demanderesse prétend que le principe de « l’équivalence fonctionnelle » énoncé dans la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information permet d’écarter les obstacles au recours aux billets électroniques puisque la valeur juridique de ces billets de tirage est la même, quel que soit leur support ou la technologie qui les porte. De même, rien dans la loi n’imposerait le « tirage à la main » d’un billet gagnant.

Or, les systèmes de loteries prévus aux Règles sont fondés sur des « systèmes » complets d’encadrement, où chaque élément permet d’assurer et de garantir l’intégrité des systèmes dans leur ensemble. Dans le cas d’un tirage, il s’agit du billet papier, du certificat de l’imprimeur, du talon de billet, du tirage au sort « à la main » d’un talon et la présence du public ainsi que des témoins pour attester de l’intégrité du tirage au sort. Il ne s’agit donc pas simplement de remplacer un billet de tirage « papier » par un billet « électronique » et un « tirage à la main » par un « tirage électronique ». Il faut s’assurer que la modification d’un des éléments du système ne compromet pas l’intégrité de ce système dans son ensemble.

La désignation d’un gagnant par un « tirage électronique » fait perdre toute valeur à sa tenue en public et à la présence de témoins, puisque ceux-ci ne peuvent attester de la valeur aléatoire du tirage. Un « tirage électronique » s’opère à l’intérieur d’une « boîte noire » sans que quiconque ne soit en mesure ni de constater ni d’attester ce qui s’y déroule. 

Les règles en place et le mandat de la Régie visent à assurer l’intégrité des systèmes de loteries et la protection du public. Ces règles sont fondées sur des façons de faire ayant fait leurs preuves et qui sont connues de tous. Le projet de tirage proposé par la Corporation s’éloigne des règles existantes, ce qui fait en sorte que la Régie ne peut en attester l’intégrité. 

La Corporation a fait valoir que son projet ne diffère guère de la mesure d’accommodement temporaire instaurée par la Régie qui tolère, dans le contexte de la pandémie, la numérisation de billets papier pour leur envoi uniquement par courriel à l’acheteur. Le Tribunal souligne que cet accommodement ne permet pas de produire des billets par l’intermédiaire d’un site ou d’une plateforme Web, puisque les billets papier existent déjà.

L’intégrité du système de loterie est fondée sur le hasard qui en est le cœur. Le tirage doit être le fruit du hasard. Tous les participants doivent avoir une chance de gagner. Le baril, ou autre outil semblable, et le brassage des talons de billets représentent la garantie associée au hasard. C’est pourquoi il doit exister des mécanismes de contrôle afin de vérifier, entre autres, comment est programmée la plateforme numérique et d’assurer l’intégrité de tout système de tirage. Il en va de la confiance des participants. Ces mécanismes contribuent à garantir l’absence de stratagèmes visant à soustraire le hasard du jeu en retirant ou en limitant les chances de gagner des participants, le jeu devenant ainsi inéquitable.

Le recours à une plateforme numérique pour mener un tirage ne permet pas d’assurer l’intégrité du système de loterie, en l’occurrence le tirage, d’autant plus que cette plateforme se trouve sur les serveurs d’un tiers. Le constat serait le même si la plateforme était celle de la Corporation. Dans un contexte où les cas de fraude avec des outils informatiques sont nombreux, il est primordial pour la Régie, dans le cadre de son mandat de la protection du public, de s’assurer de l’intégrité de l’outil. Les personnes qui participent de bonne foi à un tirage pour notamment appuyer financièrement un organisme doivent avoir l’assurance que la loterie n’est pas truquée.

Corporation de développement de l'Étang Burbank inc., 2022 QCRACJ 48 (CanLII), 15 mars 2022, <https://canlii.ca/t/jnfd3>

  

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