La demanderesse (OpenCorporates) est l’éditrice de l’une des plus importantes bases de données accessibles gratuitement au public (base de données), regroupant plus de 165 millions de données liées à des compagnies issues de 130 juridictions. Ces données proviennent de sources publiques jugées fiables, tels les registres contrôlés par des organismes publics.
De 2012 à 2016, OpenCorporates a recueilli des données du Registre des entreprises du Québec (Registre), lequel contient des renseignements sur des entreprises constituées au Québec ou qui y œuvrent, ainsi que sur les personnes physiques qui y sont liées. Alors qu’au début, elle recueillait les données du Registre au moyen du « web scrapping », elle a rapidement modifié sa façon de faire en utilisant une interface de programmation qui sert de robot informatique, et permet de faire des demandes successives sur des « assujettis », à l’extérieur des heures normales d’ouverture, afin de ne pas nuire au fonctionnement du Registre.
En 2016, le Registraire des entreprises du Québec modifie les conditions d’utilisation du Registre et y introduit des restrictions visant à empêcher les usages qu’il estime inopportuns. Il met en place une fonction de sécurité empêchant les robots informatiques d’extraire de l’information du Registre, ce qui était le moyen utilisé par OpenCorporates pour recueillir les données. Ne consentant pas aux nouvelles conditions d’utilisation, elle ne recueille plus de données du Registre. En novembre 2016, le Registraire enjoint OpenCorporates de « cesser toute utilisation des données provenant du registre […] à des fins commerciales ainsi que toute diffusion ou publication de ces données ». Concrètement, il lui demande d’épurer sa base de données pour retirer tout ce qu’elle a recueilli du Registre entre 2012 et la mise en place des nouvelles conditions d’utilisation.
OpenCorporates demande au Tribunal de déclarer que la Loi sur la publicité légale des entreprises (LPLE) ne permet pas au Registraire des entreprises du Québec de lui interdire de publier et distribuer les données qu’elle a recueillies du Registre avant la mise en application des nouvelles conditions d’utilisation, incluant la vente de données structurées. Le Registraire reconnait qu’il n’existe pas de dispositions législatives l’autorisant à surveiller l’utilisation des données du Registre déjà recueillies. Avant la mise en application des nouvelles conditions d’utilisation, aucun texte ne limitait l’usage de ces données recueillies.
Le Tribunal est invité à répondre à la question de savoir si l’objet et la finalité alléguée de la LPLE peuvent être invoqués pour suppléer au texte de la LPLE, afin que le Registraire soit habilité à surveiller l’utilisation de données déjà recueillies, et intervenir s’il considère qu’elles sont utilisées en violation de la LPLE.
L’article 24 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information prévoit que la personne responsable de l’accès, le Registraire dans ce cas-ci, doit prendre les moyens pour restreindre l’accès aux fonctions de recherche extensive dans un document technologique afin de protéger les renseignements personnels. Sous la LPLE, les fonctions de recherche extensive sont effectivement restreintes puisque seul le Registraire est autorisé à les utiliser pour faire un regroupement d’informations à partir du Registre. Il peut fournir les résultats de sa recherche à des utilisateurs qui lui en font la demande, sauf s’il s’agit d’un regroupement sur la base de renseignements personnels, puisqu’il lui est interdit de partager ce type de regroupement.
Aucune indication dans le texte de la LPLE ne prévoit, par ailleurs, que ces restrictions s’étendent à un document technologique public autre que le Registre, même s’il contient des renseignements personnels obtenus du Registre, ni à des utilisateurs ou des tiers qui détiennent ces informations et les ont obtenu à la pièce et les ont incorporées par la suite dans un autre document technologique.
Or, OpenCorporates n’a pas éludé la procédure prévue par la LPLE, en ce qu’elle n’a pas obtenu l’information avec l’aide de fonctions de recherche extensive, mais a simplement consulté le Registre et a recueilli l’information par assujetti, grâce à l’évolution des technologies de collectes de données. La consultation, qui s’est faite conformément à l’article 99 de la LPLE, ainsi que la diffusion des données récoltées, ne violent pas le texte de la LPLE, bien qu’il soit possible qu’elles transgressent d’autres textes législatifs. De plus, aucun article de la LPLE n’a pour effet de créer un monopole sur la tenue d’un Registre contenant des informations sur les entreprises québécoises. Les restrictions qui y sont énoncées ne concernent que le Registraire, à titre d’officier public, les entités gouvernementales, ou les tiers, identifiés dans la LPLE, avec qui il est autorisé à conclure des ententes pour fournir les données du Registre.
L’objectif premier de la LPLE est de permettre au public un plus grand accès à l’information, l’identification d’entreprises, ce que le Registre sous format technologique permet de faire. Afin de protéger les renseignements personnels, la LPLE restreint l’accès des fonctions de recherche au Registraire, et lui interdit de fournir à des tiers des regroupements sur la base de renseignements personnels. Mais rien n’investit le Registraire d’une mission de protéger les renseignements personnels à caractère public une fois qu’ils sont dans le domaine public.
Le Tribunal est donc d’avis que la LPLE ne confie pas au Registraire l’autorité d’intervenir et d’interdire à OpenCorporates d’utiliser les données qu’elle a recueillies du Registre entre 2012 et 2016.