Après 3 ans d’une enquête appelée Bronze et de nombreuses perquisitions, l’Autorité des marchés financiers (AMF) avise officiellement le Tribunal qu’aucune poursuite pénale ou administrative ne sera intentée en suite de cette enquête. Mais elle prétend avoir le droit de conserver les copies de quelque 16 000 000 documents technologiques saisis durant l’enquête.
Or, lorsque l’État saisit par mandat de perquisition des biens aux fins d’une enquête, il ne peut les retenir indéfiniment. Tant que des accusations ne sont pas déposées, la rétention est soumise de façon périodique à l’autorisation du tribunal. Lorsque le saisissant n’entame aucune poursuite, le Code de procédure pénale (le CPP) prévoit à son article 134 que les choses saisies doivent être remises au saisi. Peut-il cependant conserver une copie des documents saisis? Le Tribunal répond à cette question par la négative.
L’AMF invoque, entre autres arguments, que les paragraphes (13) et (14) de l’article 490 du Code Criminel permet, avant de remettre un document original à son détenteur légitime, d’en faire une copie certifiée conforme qui sera admissible en preuve et aura la même force probante que l’original. Bien que le CPP n’ait pas de disposition semblable, l’AMF soutient que l’article 61 du CPP permet de s’inspirer de la jurisprudence portant sur ces dispositions du Code criminel pour conclure à un droit de conserver indéfiniment des copies des documents après avoir remis les supports saisis.
Le Tribunal juge que cet argument fait fi du contexte particulier de la perquisition informatique qui constitue une saisie des plus envahissantes, d’une grande ampleur et des plus attentatoires à la vie privée. En l’espèce, l’État conserve des copies de plus de 16 000 000 documents, dont 14 millions de ceux-ci sont hors la portée des mandats émis, ce qui signifie que l’AMF ne peut légalement en avoir possession. De plus, des milliers, sinon des millions de documents mettent également en jeu l’attente raisonnable à la vie privée de tiers. Dans le cadre d’une perquisition informatique, la fouille des supports électroniques saisis passe nécessairement par la confection d’une copie miroir de l’intégralité de leur contenu. Cela signifie qu’uniquement pour des raisons technologiques, l’État saisit sciemment des millions de documents auxquels il n’a pas droit. Cette réalité technologique doit impérativement être accompagnée d’une extrême vigilance dans la protection des droits attachés à ces documents, tant ceux des saisis que ceux de tiers innocents. L’enquête de l’AMF est terminée, elle n’aura aucune suite de nature pénale ou administrative. Le Tribunal rejette également les autres arguments de l’AMF à l’appui de sa prétention que malgré la fin de l’enquête et l’absence de toute procédure en découlant, elle peut indéfiniment et sans contrôle judiciaire conserver une copie de tous les documents saisis.