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Un courriel n’est pas un testament valide

9 Dec 2021 4:51 PM | CAN-TECH Law (Administrator)

M. Bitton est décédé à Montréal le 6 octobre 2020. Il avait trois enfants, Dvir, Snir et Nerly, tous majeurs. En mai 2013, alors qu’il était en Israël, il s’était marié en secondes noces à Mme Damary.  La Cour doit statuer sur une demande en vérification d’un testament qui a été établi devant témoins par M. Bitton le 28 février 1989. Selon les dispositions de ce testament, l’ensemble des biens du défunt doit être dévolu à ses trois enfants, dans une proportion de 40 % pour Dvir, 40 % pour Snir et 20 % pour Nerly.

La demande de vérification est contestée par Mme Damary. Elle soutient que les dernières volontés de son époux ont plutôt été établies dans un courriel que ce dernier a transmis à son notaire, Me Znaty, le 28 mars 2020, alors qu’il venait d’être hospitalisé d’urgence en raison d’une détérioration sérieuse de son état de santé causée par le virus de la Covid-19.  Dans ce courriel, il est mentionné que 40 % des biens de M. Bitton devront être dévolus à ses 18 petits-enfants, ainsi qu’aux filles de Mme Damary ; que 10 % des biens seront pour Mme Damary, alors que 25 %, 15 % et 10 % de ceux-ci iront respectivement à Dvir, Snir et Nerly. Mme Damary demande le rejet de la demande en vérification et que le courriel du 28 mars 2020 soit déclaré être le véritable testament de feu M. Bitton.

Le Tribunal est d’avis qu’il n’y aucune raison de refuser la vérification du testament du 28 février 1989 étant donné qu’il est formellement valide, alors que le courriel du 20 mars 2020 ne peut avoir pour effet de le révoquer, ne s’agissant pas d’un testament valide.

Le Tribunal expose que l’article 2827 C.c.Q. précise que la signature « consiste dans l’apposition qu’une personne fait à un acte de son nom ou d’une marque qui lui est personnelle et qu’elle utilise de façon courante, pour manifester son consentement ». Or, le fait d’écrire dans le corps d’un courriel « ceci est ma signature » n’équivaut pas à apposer sa signature au document. Il ne s’agit ni du nom de M. Bitton, ni d’une marque personnelle qu’il utilise de façon courante pour manifester son consentement. Il ne s’agit pas non plus d’un procédé visant à permettre l’apposition d’une signature à un document sur support technologique, comme dans le cas d’une signature électronique. Dans ce dernier cas, le procédé suivi permet de lier un document à une personne par l’utilisation de divers moyens techniques par lesquels il devient possible d’identifier avec précision l’auteur de la signature électronique et son lien avec le document ou fichier à l’égard duquel celle-ci est apposée.  Nous ne sommes pas dans ce cas de figure en l’espèce.

De même, la mention « ceci est ma signature » (ce qui, incidemment, n’est pas un nom, ni une marque personnelle) inscrit dans le corps d’un courriel ne saurait constituer une signature au sens de l’article 2827 C.c.Q., d’autant plus qu’il s’agit ici d’un testament, un acte éminemment formaliste, et non pas d’un contrat pouvant en principe se former par le seul consentement des parties. Or, l’absence de signature de la part du testateur est généralement considérée fatale lorsqu’il s’agit d’un testament.

À la lumière de la preuve, le lien entre le courriel du 28 mars 2020 et les dernières volontés de M. Bitton repose entièrement sur le témoignage de Me Znaty, alors que la crédibilité de ce dernier est mise en doute par le demandeur. Le Tribunal observe que c’est pour éviter ce genre de difficultés que les formalités prévues à la loi pour les diverses formes de testament visent notamment à assurer par une preuve quasiment indiscutable (caractère olographe de l’acte ou encore présence de témoins) que l’acte émane bel et bien du testateur et qu’il contient ses dernières volontés. Dans les circonstances, cet objectif n’est pas atteint car l’écrit n’a pas été rédigé et signé de la main du testateur ou encore signé devant témoins.  Il faut entièrement se fier sur le témoignage de Me Znaty pour établir un lien entre le courriel qu’il dit avoir reçu de M.Bitton et les dernières volontés de ce dernier.

Accepter le courriel du 28 mars 2020 comme testament, ce serait reconnaître la validité d’un testament non signé, entièrement écrit par un moyen technique et sans la présence d’aucun témoin, ce qui est incompatible tant avec la nature intrinsèque du testament olographe ainsi qu’avec celle du testament devant témoins. Il est vrai que l’article 714 C.c.Q.  permet au juge d’exercer sa discrétion pour atténuer les conséquences jugées néfastes d’un formalisme testamentaire trop rigoureux. Mais cela ne lui donne pas le pouvoir de créer de toutes pièces de nouvelles formes testamentaires non reconnues par le législateur.

Le courriel du 28 mars 2020 ne peut donc pas valoir comme testament établi devant témoins, contrairement à ce qu’invoque Mme Damary. Ce courriel ne peut non plus être validé comme testament olographe, car il ne respecte aucune des formalités prévues pour ce type de testament, ayant été entièrement rédigé par un moyen technique et n’étant pas signé (ou, dans la meilleure des hypothèses pour Mme Damary, étant « signé » par un moyen technique). Ce courriel ne peut avoir pour effet de révoquer le testament du 28 février 1989 car la révocation d’un testament antérieur, qu’elle soit expresse ou tacite, doit être faite par un testament postérieur ou par une disposition testamentaire postérieure incompatible avec le testament antérieur. Un écrit qui ne vaut pas comme testament ne peut donc pas avoir pour effet de révoquer un testament antérieur.

Bitton c. Bitton, 2021 QCCS 4649 (CanLII), 1er novembre 2021, <https://canlii.ca/t/jk7xn>

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